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Croisiere.

Date de la contribution Sur fr.rec.arts.sf

Subject: Croisiere 03
From: Yann Minh
Date: Fri, 21 Aug 1998 00:54:03 +0200
Date: Fri, 21 Aug 1998 00:54:03 +0200
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Haut de page Croisiere. 03


Je regardais ma Remington, incapable d'écrire, l'esprit encore accaparé par l'image des deux très belles créatures entrevues dans le grand salon du transporteur.

J'envisageais de remonter sur le pont les rejoindre, lorsque le grondement des moteurs s'atténua, et le choc sourd caractéristique , que font les pontons de transbordement en s'arrimant à la coque, résonna depuis les cales.

J'arrachais immédiatement de la Remington, la feuille, recouverte de MEMS, où était inscrite la totalité de mon histoire de l'humanité.

Les milliers de pages mémorisées dans les essaims de nanorobots recouvrant sa surface ne devaient surtout pas tomber sous les yeux, de la Technocratie et du Corpsard. Je glissais le document au milieu du bloc de feuilles vierges et insérais à sa place un roman érotique anodin qui me servait à donner le change. J'avais évacué mon désir de séduction avorté à l'égard des deux belles créatures du grand salon, en leur prêtant une relation ambigüe.

La page terminait d'afficher les derniers mots inscrits dans ses MEMS, lorsqu'on cogna lourdement contre le sas de la cabine. Le visiophone afficha l'allure patibulaire des inspecteurs du Corpsard. Il fallait toujours qu'ils en fassent trop, ils auraient pu se contenter de sonner, mais non, il fallait qu'ils cognent contre le blindage, comme dans les fictions de l'ère prébiolithique.

Le sas s'ouvrit et trois armoires à glace en costume gris entrèrent dans la cabine. Je remarquais, accroché à leurs cravates, l'insigne du contrôle de transmigration. Des inquisiteurs.

Ils ne prirent pas de précaution orale, le plus massif s'adressa à moi pendant que les deux autres furetaient dans la pièce.

"Minh ! Nous avons de fortes raisons de croire que tu entretiens encore des relations avec l'ancienne secte dissidente de Vor Bassass..."

Je rectifiais immédiatement :

« Bazass, ça se prononce Vor Bazass. Avec un Z... »

L'homme prit une expression renfrognée qui renforça ses airs de bouledogue.

« Fait pas le malin, je te préviens, si t'es pas clair on t'embarque pour un test de rationalisme »

Je pris l'expression un peu apeurée, qui convenait à mon personnage d'artiste lunatique.

« Ok, je reconnais que j'ai pu céder aux délires de ce groupe d'illuminés pendant mon enfance. D'ailleurs je ne m'en cache pas, c'est dans la biographie officielle. Mais si vous lisez vos dossiers vous verrez que j'ai rompu depuis longtemps toutes relations avec les disciples de Shafer Xhati. D'ailleurs je ne travaillerais pas pour le ministère de la désinformation si je n'avais pas déjà prouvé mon allégeance au dogme officiel. »

Les trois hommes m'entouraient, l'air de plus en plus menaçant, mon baratin ne prenait pas.

« En plus, le reste de la secte a été anéanti après l'élimination de Vor Bazass par notre grand commandeur bien-aimé Ivrin Lichi. Je ne vois pas ce que je pourrais faire avec des fantômes... »

L'air ironique, l'un des acolytes me glissa sous les yeux une feuille en polysillicone, ou les Mems commençaient à former les mots mémorisés.

« Nous avons intercepté ce message qui t'était destiné, à la fin de ton intervention sur les anciens réseaux du cyberespace... »

En parcourant les phrases inscrites, une vague de mélancolie triste m'étreint le coeur. Je reconnaissais ce style si caractéristique qui me replongeait des années en arrière.

Yann, tu n'es pas un Transmigré. La Fusion Métaphorique de la part cartésienne et de la part intuitive, que tu devrais désirer de tout ton être, oui, vers laquelle tout ton être devrait tendre, moi je n'en vois pas la moindre trace... »

Sans lire la signature, je reconnus immédiatement l'auteur du message

Un Transmigré authentique est au-delà des dualités, il chante dans le Naxos et communique avec lui. Je déplore grandement qu'après tous les efforts que tes Maîtres ont prodigués, après les longues séances pratiquées sur la plage de Shafer Xhati en leur compagnie, ton esprit ait finalement décider de se laisser dériver vers le Morgos, vers l'assouvissement des Pulsions Hatives et la schizophrénie... »

J'étais sidéré, c'était bien là le romantisme emphatique de PatFitou. Lors de notre pré-initiation, nous avions passé de longs moments à rêver dans les landes sauvages qui dissimulaient le sombre monastère de granit où les disciples avaient trouvé refuge.

Pfitou était habité par une soif d'absolu, si entière, que je m'amusais souvent à taquiner son romantisme forcené en me faisant l'avocat du diable, dans nos joutes oratoires, qui s'éternisaient parfois jusqu'à ce que la deuxième lune vienne caresser de ses rayons bleus les contreforts chaotiques des « Roches primordiales ».

C'est certainement à cette époque, que j'avais acquis cette aisance à jouer un double jeu, qui m'avait évité d'être emporté dans la tourmente qui décima l'ordre, lors du recentrement cartésianiste, dix- ans plus tard.

PfiTou, toujours vivant et provocateur, avait pris le risque de se découvrir, juste pour affirmer de nouveau cette soif d'absolu qui l'habitait.

Les bouledogues m'observaient soupçonneux. Il fallait que je réagisse. Je leur tendis la feuille, en me retournant vers le hublot ouvrant sur les étoiles, pour dissimuler l'humidité salée qui commençait à brûler mes paupières. Je leur lançais.

« Bon! et alors...qu'est ce que ça prouve...il y a un survivant, et il vient de m'écrire. Je ne vois pas ce que ça change! »

Le bouledogue s'était déplacé vers ma gauche et j'entendis le cliquetis des menottes autoblocantes. J'étais heureux, d'avoir joué pendant tant d'année, ce rôle de doux rêveur inoffensif, ils ne se méfiaient pas.

« ouais! t'es pas très convaincant, tu vas nous suivre, et on va tirer cette histoire au clair »

Il attrapa mon bras, qui lui resta dans les mains. Ses acolytes avaient sorti leurs magnums et criblaient de microflêches la silhouette devenue informe de mon costume.

« Merde! c'est un Isskit, il se métaphorise »

C'était trop tard, j'avais libéré la ruche. Mon corps s'était désagrégé en une nuée insectoïde bourdonnante, les lardant de piqûres, injectant des essaims de nanorobots dans leur sang. En quelques secondes, les micromécanismes cellulaires atteignirent leur système limbique, ils étaient à notre merci.

La ruche reprit sa cohésion métamorphique, et reconstruisit ma forme humaine. Je fus heureux de quitter le mode de pensée en intelligence collective, et de retrouver l'anthropomorphisme, non entropique.

J'enfilais un nouveau costume, récupérais la feuille contenant mon histoire de l'humanité, que je pliais dans une poche, et donnait l'ordre aux trois hommes désormais en mon pouvoir, de me conduire à leur navette.

Lors de l'attaque du monastère de Shafer Xhati par les hommes d'Ivrin Lichi, Vor Bazass avait dispersé les disciples. J'avais fait partie de ceux qui avaient accompagné le grand maître dans son exil.

Pendant les derniers jours en sa compagnie, Lisst m'avait transmis l'initiation ultime, ce pouvoir ancien, caché en chaque être, qui permettait d'influer par la pensée sur les tropismes métaphoriques qui régissaient l'univers. La réalité était une imbrication de plans métaphoriques plus ou moins complexes, sur lesquels on pouvait agir.

Je laissais les trois hommes à l'entrée du ponton de transbordement. D'ici quelques heures les essaims de nanorobots qui parasitaient leurs neurones allaient se désagréger. Ils garderaient juste un mauvais mal de tête et cracheraient des essaims dorés pendant quelques jours.

Je pris les commandes de leur petite navette de guerre et plongeais dans l'espace interprobable. Contrairement, à ce que croyaient beaucoup de disciples éparpillés dans la clandestinité, Lisst Vor Bazass n'avait pas rejoint le Naxos. La secte s'était reconstituée, il était temps que je retrouve PfiTou pour le ramener à la ruche.

:-) --

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