Croisiere.

Date de la contribution Sur fr.rec.arts.sf Subject: Croisiere 05 From: Yann Minh Date: Sun, 23 Aug 1998 07:08:24 +0200 Date: Sun, 23 Aug 1998 07:08:24 +0200 Organization: http://wwwperso.hol.fr/~ynguyenm X-Newsreader: MacSOUP F-2.3.2 (unregistered)

Croisiere. 09 Les grandes pales des conditionneurs tournaient au ralenti, extirpant péniblement la brume moite et épaisse qui rendait l'atmosphère des coursives oppressante. Je rabattis ma capuche, et vérifiai qu'aucun sbire du corpsard ne me suivait. Un hexapode de contrôle urbain déployait ses longues pattes au milieu de la foule, mais s'éloignait, indifférent à ma présence. J'effleurai de l'index les capteurs du sas. Mes nanoimplants transmirent mon identification au cerbère, et l'hémisphère blindé roula silencieusement dans son orbite, m'ouvrant le passage à l'intérieur du sex-shop. Les deux Real-Dolls gynoïdes m'accueillirent de leurs avances outrageuses. Mais je poursuivis mon chemin vers la crypte. Un seul client ventripotent aux allures de comptable retraité, s'affairait autour de deux Real-Dolls suspendues aux treuils du premier réduit. Comme prévu l'alcôve du fond était libre. C'était une reproduction des geôles de l'inquisition. Des cariatides démoniaques supportaient de larges archivoltes gothiques, d'où pendait un entrelacs de chaînes reliées aux engrenages d'une machinerie de bois poussiéreuse. Une dizaine de grosses araignées essayaient de s'échapper d'un bocal transparent suspendu au plafond. Je refermai la lourde porte en chêne synthétique derrière moi. Sous la clef de voûte, un jeune éphèbe était écartelé sur un chevalet. Son immobilité me confirma que l'androïde supplicié était éteint. Erion m'attendait allongé dans les bras d'une Real-Doll, ligotée, et elle aussi désactivée. Au premier coup d'oeil je me rendis compte qu'il était inquiet, et ce que je déchiffrai dans son verbiage populaire acheva de confirmer mes soupçons. En termes simples il m'expliqua que PatFitou semblait avoir perdu la raison. Il n'était pas au rendez-vous, par contre Il avait diffusé un message sur le réseau qui annonçait la résurrection de la secte et un Harmaguedôn à venir. Le corpsard était dans tous ses états, et même Erion ne pouvait plus se déplacer sans être systématiquement contrôlé. La première et la seconde flotte étaient venues renforcer la protection de la station présidentielle. Aucun navire n'était plus autorisé à approcher le palais à moins d'un dixième d'U.A. Il me tendit un enregistrement du message. Je parcourus avec attention les mots inscrits par les Mems sur la feuille de polysillicones, où Patfitou s'exprimait en tant que Farao Nero. Je viendrais porté par le vent mystique, auréolé de forces inimaginables. Dans mes mains je porterai la Folie et la Mort, et d'un coup j'abattrai vos cités orgueilleuses. Il est encore temps pour vous d'unir vos faibles forces en attendant ma venue. Rassemblez-vous! Unissez-vous dans le Naxos, pour y communier et y tremper votre âme! Vous y trouverez la Paix et la Satisfaction, vous y trouverez aussi le Salut, lorsque le monde connu s'écroulera... Gloire au Vide et au Plein, à la Technologie Philosophique et Amoureuse! Gloire aux Amants du Naxos! J'étais perplexe. Apparemment PatFitou avait atteint le stade suprême de l'initiation qui lui conférait, effectivement, le pouvoir de réaliser ce qu'il annonçait. Mais, même dans la situation la plus critique, notre grand maître s'était refusé à lancer l'apocalypse. C'était très net, pour reprendre l'expression populaire d'Erion, mon ancien condisciple avait "pété les plombs". Il y avait tout de même une différence, entre obliger le Corpsard à réformer les institutions, et lancer un Harmaguedôn sanglant qui ferait beaucoup de victimes innocentes. Je m'assis aux pieds de l'éphèbe enchaîné, et pris le temps de réfléchir. Je contemplai les chaînes qui oscillaient au plafond, pour ne pas me laisser distraire par les courbes voluptueuses de la Real-Doll, entre les cuisses de laquelle se vautrait Erion. Il fallait arrêter PatFitou. Abattre l'usurpateur passait au second plan. On se retrouvait pris entre le marteau et l'enclume! De plus, si effectivement PatFitou avait été investi des pouvoirs d'un Farao Nero, tous les disciples réunis n'arriveraient pas à le contrer. Il fallait absolument que je le retrouve et que je lui parle. Un choc sourd à l'étage nous mit immédiatement sur nos gardes. Le cliquetis caractéristique des pattes de robots hexapodes sur le faux dallage de granit nous confirma l'intrusion de la police. J'intimai l'ordre immédiatement à Erion de se déshabiller, et commençai moi-même à arracher mes vêtements. Il me regarda interloqué et un peu gêné, mais obtempéra malgré tout. Je pris nos effets et les jetai dans le brasero au pied du chevalet. J'enlevai son pendentif et le mis autour du cou de la Real-Doll, activai les deux androïdes, et nous métaphorisai tous les deux. Il était temps. La porte s'ouvrit sur un petit hexapode de la sûreté armé d'un lance-flammes, suivi d'un cyborg de la dernière génération. Nous nous sommes éparpillés dans la pièce craintivement, à la recherche d'un abri. Les intrus s'avancèrent dans la crypte enfumée, prêts à tirer. Ils ne firent pas attention au grouillement arachnoïde qui pullulait sur les corps contorsionnés des robots torturés. Le cyborg resta un long moment, fasciné par le supplice de l'éphèbe écartelé et de la gynoïde, que nous nous efforcions de dévorer pour donner le change. Ils finirent pas sortir, non sans jeter un dernier regard suspicieux, qui nous fit craindre le pire. Nous attendîmes quelques instants, avant de regrouper les essaims dispersés. La métaphorisation avait duré un tout petit peu trop longtemps et nous eûmes du mal à ramener certains éléments qui avaient commencé à apprécier leur indépendance. Les araignées n'étaient pas une bonne idée, elles n'avaient pas l'instinct de la ruche! Tout en récupérant son précieux collier, Erion, me regardait furieux. "Mec, tu me refais jamais un plan d'enfoiré comme, ça. En plus je déteste le goût du fullerène" La peau synthétique des Real-Dolls était faite d'une variété de bucky-balls qui simulait parfaitement la texture de l'épiderme, pas le goût!. Le problème était maintenant de trouver des vêtements convenables, je me métaphorisai en femme, et enfilai, l'entrelacs compliqué de lanières et de résilles qui habillait la Real-Doll. Erion me regarda faire, de plus en plus perplexe. Je sentais chez lui une certaine réticence à suivre mon exemple... ;-)