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Voyage avec Cyane
Le train s’enfonce dans la nuit et je me perds dans les méandres de mes rêves.

À contre-jour sur l’orbe orangée lointaine qui émane de la capitale, les tentacules énergétiques des lignes à haute tension tracent leur écheveau rouge intermittent. Les avions glissent vers la métropole anthropophage, effleurant de leur descente rectiligne les convergences lumineuses des fourmis automobiles .
Paris, c’est ma respiration qui s’accélère en bouffées retenues pour ne plus inspirer l’air corrompu.
C’est ce slalom perpétuel dans le grouillement humain arpentant l’asphalte, dans la laideur d’un mobilier urbain publicitaire. Paris c’est la moiteur compacte de son métro sale et bruyant, les heures serviles à quémander un logement exigu hors de prix.
Ce sont les limousines de la technocratie, défilant devant la misère allongée sur les bouches d’aération, au pied des architectures squelettique de la gangrène immobilière.

J’espère toujours ce large vaisseau qui nous emportera vers des rivages plus cléments, loin de ces jours précaires qui s’écoulent si rapidement dans le gris de la mégalopole, où finalement nous sommes peut-être heureux.
Car Paris ce sont aussi des parcelles de rêve virevoltant dans la magie chatoyante des quais, illuminés par le faisceau des projecteurs vagabonds glissant le long des flots sombres de la Seine.

Comme il est bon de se remémorer ces rares instants de plénitude, passés à arpenter les grandes nécropoles de l’art. El Greco au fin fond du Louvre. Vélasquez si précis, si réaliste et pourtant presque impressionniste. L’aridité du musée d’art moderne et la sensualité du musée d’Orsay.

Et puis ces après-midi au café de Flore ou sur les quais à regarder la vie s’écouler.

Je sais que nous vivons les plus belles années de notre vie.

Mélancolie d’avoir été là avec toi.
Mélancolie du plaisir de vivre.

Te souviens-tu de l’odeur chaude des soirs d’été à saint Germain?
Le comédien qui faisait semblant de tirer les autobus devant les consommateurs complices du café de Flore.

Chaque jour qui passait, nous nous étonnions de la force de notre amour.
La nuit je dormais, allongé, la tête à fleur des baies vitrées de la tour, le regard braqué vers le ciel guettant les étoiles filantes.

Devant nous la ville s’étendait dans sa plénitude lumineuse.
Montmartre, dans le lointain, où nous allions manger à L’été en pente douce.
L’arbre peint sur la nappe que tu avais épinglée dans le salon.
Ce bar à touristes, où les asiatiques nous photographiaient comme des monuments. Le vieux musicien virtuose, heureux de voir qu’on l’écoutait jongler sur les cordes de sa guitare trop amplifiée.
La petite ruelle pavée, vestige du vieux quartier de la butte aux cailles. Cette petite ruelle qui te faisait penser à Doisneaux, avec sa place, son banc occupé par les trois clochards et sa vieille maison au mur tagué par une des silhouettes blanches de Jérôme Mesnager .

Rappelle-toi l’odeur de fin d’hiver à Saint-Germain, et ces jours où finalement ça n’était pas si triste de vivre dans la capitale.

J’arrivais le vendredi soir après le tournage en province. Comme un rituel bien réglé, après t’avoir montré le montage de l’émission, nous allions manger au Drugstore Publicis, avec sa jolie brune, et ses serveurs presque obséquieux de gentillesse, sans nous douter qu’un jour tout cela disparaîtrait. Je te parlais de mon père qui le premier m’y avait amené, je te racontais mes années d’étude à Paris quand je venais le soir y chercher des livres de science-fiction. Puis, nous allions nous asseoir au café de Flore. Côte à côte, comme au cinéma, pour mieux contempler cette faune qu’on ne rencontre que dans les grandes capitales. Je t’apprenais les règles de la perspective en dessinant les tasses de café.

Il y avait aussi ces longs moments passés à discuter dans le bureau. Toi, assise sur le fauteuil vert que tu avais trouvé dans la rue, et moi devant le Macintosh à écrire des essais érotiques.

Tu me disais comme ton père aurait adoré me rencontrer et je pensais la même chose pour le mien tout en m’efforçant de ne pas laisser la tristesse m’envahir.

Aujourd'hui, la fraîcheur de l’automne a envahit les rues.
La lumière des néons a changé, déjà leurs miroitements sur les façades annoncent le froid de l’hiver.
La foule besogneuse, s’agite derrière ton reflet sur la vitrine du café.
En traversant la rue je t’ai observée, m’attendant assise solitaire, avec ton Perfecto et tes collants noirs. J’ai savouré le plaisir d’imaginer que nous ne nous connaissions pas, pour retrouver cette souffrance délicieuse de te désirer comme pour la première fois.
La transparence de tes yeux en surimpression sur la ville est à jamais inscrite dans l’âme de ma mémoire.

Je t’aime, je voudrais vieillir avec toi, savourer la lente corruption du temps s’emparant de nos êtres, admirer les rides sur ton visage et nous trouver beaux, éternellement beaux malgré la vieillesse, car l’amour immortalisera notre jeunesse.


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