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MES MEILLEURES CRITIQUES OU ARTICLES
THANATOS, Les Récifs

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CYBERZONE
ITW par Maxence Grugier. pour CyberZone N°1
ARTISTE MULTIMEDIA

QUELQUE PART AU PLUS PROFOND DU CYBERESPACE, SE CACHE UN ARTISTE PAS COMME LES AUTRES. VÉRITABLE TOUCHE À TOUT, CURIEUX CRÉATIF, OISEAU RARE EN CES “TERRITOIRES D’INQUIÉTUDE, YANN NGUYEN MINH DISTILLE AU SEIN D’UN SITE OFFICIEL LABYRINTHIQUE (HTTP://WWW.yannminh.org/) SON UNIVERS FUTURISTE, SENSUEL ET DÉCADENT.

ÉCRIVAIN DE SCIENCE-FICTION, ARTISTE MULTIMÉDIA, ARTISTE VIDÉO, RÉALISATEUR DE TÉLÉVISION, INFOGRAPHISTE, YANN MINH FAIT PARTIE DE CES RARES CRÉATIFS MÉLANGEANT AVEC BRIO INTÉGRITÉ ET VULGARISATION AU SERVICE DE LA CONNAISSANCE : CAPABLE AUSSI BIEN D’ÉCRIRE UN ROMAN SULFUREUX DE L’ACABIT DE “THANATOS, LES RÉCIFS” (PARU L’AN DERNIER CHEZ L’ÉDITEUR FLORENT MASSOT’”) QUE DE RÉALISER UN DOCUMENTAIRE SUR L’HISTOIRE DE LA ROBOTIQUE POUR LA CINQUIEME.

RENCONTRÉ AU DÉTOUR DE LA TOILE, IL A BIEN VOULU RÉPONDRE À QUELQUES QUESTIONS ESSENTIELLES SUR SON UNIVERS INTÉRIEUR, SON ENGAGEMENT POUR LA CAUSE ARTISTIQUE, LA CYBERCULTURE OU ENCORE LA SEXUALITÉ ET SES MULTIPLES FORMES D’EXPRESSION. INTERVIEW PAR E-MAIL...
Net Zone : Comment es-tu venu aux arts graphiques, en général et au multimédia, en particulier ?

Pour les arts graphiques, par malédiction : être artiste n’est pas un choix que tu fais, c’est une nécessité existentielle qui prime sur tout. et qui t’amène à sacrifier le confort d’une vie dite “normale”, pour les galères de la vie d’artiste qui sont réelles, surtout en France. Pour le multimédia, c’est un tropisme inévitable. J’utilise les moyens d’expression que m’offre cette époque pour exprimer les mondes qui m’habitent Pour moi, l’art est le plus haut niveau de communication de l’humanité. C’est donc normal d’utiliser les outils de communication qui sont en adéquation avec notre époque. En plus. il y a une Ômagie’ intrinsèque de la technologie à laquelle on ne peut pas, ne pas succomber.

Net Zone: Pourrais-tu nous dépeindre ton univers graphique ?

je propose des cosmogonies imaginaires Des mondes virtuels, beaux, terrifiants, sensuels, sexuels et fantastiques, crédibles, cohérents, et surtout différents de notre quotidien. Ce qui pourrait également être une définition de la science-fiction.

Net Zone: ... Et de la littérature ?

C’est la même définition que celle de mon univers graphique. Pour moi, au contraire de ce que dit Mac Luhan, dans la pratique, ce n’est pas le médium qui importe, mais le message. Même si le médium joue un rôle non négligeable. Il y a d’abord un monde qui m’habite et je vais utiliser les outils qui sont à ma portée pour le faire exister. La littérature est un de ces outils, avec ses spécificités qui sont différentes et complémentaires à la peinture, à la vidéo, à l’internet. Le médium absolu n’existe pas. Chaque outil me sert à exprimer une autre facette du même univers. Les uns étant complémentaires des autres. C’est pour cela que je me définis en tant qu’artiste multimédia... Quelle tristesse ce serait pour moi de me limiter à un seul médium! Ce serait comme si je me coupais les jambes pour ne plus me servir que de mes bras... C’est aussi pour cela que j’utilise l’internet. Pour y mettre des informations complémentaires au roman... Pour compléter la cohérence de la cosmogonie que je bâtis. Il y a, par exemple, des dessins que j’ai fait il y a 25 ans.

Net Zone: Peux-tu nous présenter ton livre “ Thanatos, Les Récifs ”?

En quelques mots, c’est l’histoire d’une jeune monteuse dans une chaîne de réseaux numériques, fournissant à ses abonnés, en “ vidéo on-demand ”, les rushes de faits divers sanglants. Elle va découvrir que le patron du groupe, qui l’attire par son charisme, organise ces meurtres
spectaculaires pour alimenter ses actualités... Son enquête va l’entraîner dans une spirale de violence sexuelle, et vers un monde aussi étrange que mystérieux... Les Récifs. Le véritable héros de la saga est ce monde onirique, très proche des archétypes de l’héroïc fantasy, qui m’apparait par bribes depuis mon enfance et dont je me contente de retranscrire les visions. D’où viennent Les Récifs ? je ne sais pas, de mon inconscient nourri de SF, de fantastique, de mythologie, ou d’une dimension métaphysique dans laquelle tous les artistes vont puiser depuis l’Antiquité, je ne sais pas... Là, on touche aux grands mystères.

J’UTILISE LES MOYENS D’EXPRESSION
QUE M’OFFRE MON ÉPOQUE POUR EXPRIMER LES MONDES QUI M’HABITENT

Net Zone: Ton univers mental est très orienté vers l’érotisme, le SM en particulier et les différentes facettes de la cyberculture...Peux-tu nous parler de ta vision d’Eros ?

J’utilise effectivement beaucoup d’archétypes sadomasochistes dans mes oeuvres, car l’iconographie fétichiste symbolise, sous une forme imaginaire, cet abandon absolu qui peut nous habiter lors d’une expérience amoureuse et érotique forte, ou l’on se fond dans l’autre et où l’autre se fond en vous pour former un être unique métaphorique. L’archétype mythologique incarné par Eros et Thanatos est pour moi une évidence. L’érotisme et la mort sont liés, plus que l’amour et la mort d’ailleurs qui sont opposés. L’amour est une lutte contre la mort, pour faire perdurer une entité symbolique parfaite, formée par le couple (symbole étant pris ici dans son sens originel). C’est une lutte contre la fin de l’entité qu’est le couple, qui sera dans le meilleur des cas, détruit par la mort inévitable de l’un des partenaires. Quand je dis meilleur des cas, je suppose un amour si complet, qu’il aura duré toute l’existence d’un couple jusque dans la vieillesse. L’érotisme, par contre, est une forme d’anéantissement mental par le physique, dans des énergies essentielles qui appartiennent au cosmos, et qui sont de même nature que la mort qui est aussi un anéantissement dans le Mystère. Un rituel d’abandon sans cesse renouvelé, qui nous relie à l’univers...

Net Zone: Tu te documentes beaucoup pour écrire tes romans ?

Pour écrire Thanatos, le premier volume de la saga des Récifs, j’ai beaucoup lu et aussi navigué sur les sites scientifiques internationaux consacrés à la robotique et à la nanotechnologie. J’ai également bien épluché le dictionnaire des symboles, Pour Cité, (le second volume), je me documente sur cette période incroyable qu’on appelle le Moyen Age, qui a sans doute été un âge d’or de l’humanité, en regard de notre époque qu’on dit civilisée...

Net Zone : Dans tes écrits, la société semble avoir détourné toutes valeurs morales au sens traditionnel du terme, pour se développer sur les idées d’hédonisme et de profit. Est-ce comme cela que tu vois l’avenir ou est-ce comme cela que tu souhaite le voir ?

C’est clair que pour moi, nous vivons une période transitoire, à la fois riche et terrifiante, mais aussi de grande confusion... Pour moi, cela fait très longtemps qu’il n’y a plus de morale réelle dans notre société, ou plutôt, je dirais d’éthique, car le mot morale à une connotation négative qui m’évoque immédiatement une pensée rigide, totalitariste. Je préfère éthique, et, hélas, je trouve que notre société en est de plus en plus dépourvue. Contrairement à un archétype qui est de mettre les problèmes de notre société uniquement sur le dos d’un capitalisme ultra libéral, éventuellement un peu hédoniste, mais pas tant que ça en fait, je suis convaincu que le mal être et la misère morale, culturelle et économique que nous traversons, est essentiellement le résultat d’une dérive de l’ensemble de nos grandes institutions, qu’elles soient publiques ou privées, capitalistes ou sociales, je vois notre société comme une juxtaposition sans passerelles entre d’énormes structures virtuelles, (des groupes. des corporations, des institutions) organisées sur une logique d’intelligences collectives (cf. la nancrobotique), peuplées par des groupes d’individus qui accomplissent des tâches simples et spécialisées, et dans un autisme absolu par rapport aux autres macro-organismes, acteurs de notre société. Nos institutions ne sont plus constituées que de gigantesques systèmes d’intelligences collectives fonctionnant en circuit fermé, coupés des autres ou en concurrence avec eux, qui ont largement perdu leur vocation originelle au profit d’une vocation propre. Pour des raisons d’optimisation du fonctionnement, on a réduit les tâches de chacun des individus qui les composent à des fonctions simples. Cela provoque ainsi des dysfonctionnements graves au niveau de l’ensemble de notre société, d’où les drames quotidiens qui non seulement sont visibles dans les actualités, mais aussi dans notre propre vie. Nous sommes sous le joug d’un totalitarisme librement consenti Exemple : pas d’éthique au sein même du macro-organisme organisé en intelligence collective qui s’appelle la RATP. Les transports publics parisiens sont totalement inadaptés depuis plus de 20 ans à leur fonction. Ont-ils évolué ? Non. Les passagers sont réifiés (transformés en choses) et véhiculés comme du bétail dans des wagons mal ventilés, bruyants et inconfortables. Au lieu d’adapter la technologie aux hommes, ce sont les hommes qui doivent s’adapter aux dérives technologiques. L’histoire du vaccin de l’hépatite B, (J’ai une amie qui a contracté une sclérose en plaque à cause de ce vaccin, par manque d’information et de précautions de la part de la profession médicale) est encore un exemple de totalitarisme du macro-organisme chargé de la santé publique, pour lequel la perte de quelques individus est justifiée par rapport aux avantages d’abord financiers pour les laboratoires, et éventuellement en terme de protection du plus grand nombre. Mais je suis sceptique, je trouve cette gigantesque roulette sur la vie des gens totalement intolérable, et ce n’est pas seulement le fait d’un libéralisme capitaliste, c’est une volonté des technocrates au pouvoir, et d’un manque d’éthique, ne serait-ce qu’au niveau de chacun des individus qui composent ces organismes.

Net Zone: Ne penses-tu pas que ces idées d’hédonisme (le plaisir justifie les moyens) et de profit soient en fait une seule et même chose ? Deux avatars de la société capitaliste et de ces idéaux libéraux (au sens économique du terme, bien sûr)?

Je pense qu’il faut arrêter de regarder notre société à travers le manichéisme simple d’un éventuel capitalisme libéral, responsable de toutes les dérives. Notre société se dévore de l’intérieur, rongée par ces centaines d’institutions pyramidales qui ne se préoccupent plus que de défendre leurs intérêts propres au détriment de leur vocation d’orgine, qu’elles soient publiques ou privées, de type capitaliste. Evidemment, pour les institutions de type capitaliste où le profit compte avant tout, les dérives sont faciles à identifier, mais ce qui me paraît grave, ce sont les dérives de fonctionnement qui concernent aussi des organismes publics où la notion de profit n’est pas si importante... Ceci dit en toute humilité de la part d’un artiste, qui est victime tous les jours des dérives administratives et commerciales.

Net Zone: Tu as eu un article récemment dans Computer Art. Penses-tu que le jour est arrivé pour les jeunes auteurs de science-fiction française d’être reconnus ?

Hé hé hé! Tu es gentil, merci. J’ai 42 ans et l’on ne peut donc pas parler de moi comme d’un jeune auteur. Oui, je pense qu’il y a un regain d’intérêt pour la SF en général, qui profite un petit peu aux auteurs francophones. Il serait temps, car cela a été considéré par l’intelligentsia culturelle des arts plastiques ou de la littérature comme un sous-genre, même pas digne d’être cité. Mais ça, c’est la France. Quand tu penses qu’il y a eu dans les années 70, en France, une véritable cyberculture, puissante et créative, qui a systématiquement été niée par les institutions culturelles et les décideurs coincés dans leurs conneries d’art majeur et de conceptuel ! Ils sont d’ailleurs toujours en place, dans des rôles de décisionnaires, tous ces gens qui nous ont fait prendre vingt ans de retard... L’histoire de la techno est totalement symptomatique de cet obscurantisme vis-à-vis du monde de la création artistique... Les artistes qui sont les créateurs, de ce qui sera demain un des secteurs économiques les plus importants en terme de concurrence économique internationale, sont toujours considérés en France comme des marginaux, et ont énormément de mal à survivre. Ce qui n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons !

Net Zone : Que penses-tu du petit univers de la SF française ?

Tu es un peu péjoratif en disant petit ! je ne le connais pas bien, vu que je viens plutôt du milieu de la vidéo et des arts plastiques, mais je trouve qu’il est étonnamment actif, avec beaucoup de créateurs qui arrivent, malgré les difficultés économiques, à poursuivre leur ceuvre. Et par rapport à la folie paranoïaque qui règne dans le milieu de la TV et des arts plastiques, pour moi ce sont de vraies vacances de me retrouver avec tous ces gens, grâce à mon livre. La SF est un espace de création d’une liberté incroyable, car justement, c’est un genre qui, du fait qu’il est déconsidéré par les crétins pseudo intellos qui régissent la littérature générale, n’est pas encore encombré par les arrivistes qui parasitent la plupart des institutions à la mode. En plus, il y a un phénomène étonnant avec la SF : c’est un genre fédérateur. Les amateurs de SF partagent les mêmes rêves...

Net Zone : Peux-tu nous parler de ton film ?

Haime est un film de vidéocréation, réalisé en 1992 avec l’Esplanade de Saint-Etienne. Le projet était de faire une émission qui parle des créateurs de l’érotisme avec une esthétique cyberpunk. je me suis fait dégommé par toutes les chaînes, à qui on l’a proposé à l’époque, dont Canal + et M6. Avec des discours du genre : l’érotisme à la TV ne peut être que bas de gamme, pour ne pas impliquer l’image de la chaîne... ou du style : une émission consacrée aux créateurs de l’érotisme serait trop corruptrice... pas assez grand public... Fait chier ce mythe du grand public! L’esthétique SM et SF que j’avais choisie dans l’habillage, a également beaucoup dérangé. Donc, j’en ai fait un petit film de vidéocréation, que même le milieu des arts plastiques a censuré... Comme quoi, ils sont pareils à ceux qu’ils critiquent... ils veulent juste se retrouver eux aussi dans la boîte à guignol... Dérisoire!

Net Zone: Comment peut-on produire et réaliser un film de science-fiction en france, quand on est un auteur indépendant ?

Attention, je ne suis pas réalisateur de longs métrages cinéma ! Il faudrait plutôt poser cette question à Kounen, Caro, Jeunet ou Besson, que j’admire énormément car ils ont beaucoup fait pour le genre. Moi, comme je travaille en vidéo, je n’ai jamais réussi à franchir le stade de fictons expérimentales à petit budget. J’aurais tendance à dire qu’on ne peut pas produire de SF en France, sauf en de trop rares exceptions. La SF a été, toutes ces années, très mal considérée par la production française. Si tu envoies une histoire de SF au CNC, tu n’as pratiquernerit aucune chance de passer le filtre des premiers lecteurs qui sont encore pleins de préjugés idiots. Ils ont oublié Jules Vernes et Méliès pour ne plus voir qu’à travers Godard (que j’aime bien, mais pas ses fans) et la Nouvelle Vague,

Net Zone : Quel film t’a marqué récemment ? Pourquoi ?

Alien 4 de jeunet me plaît beaucoup, mais je suis resté collé, comme beaucoup d’amateurs de SF sur Blade Runner et Alien 1 qui restent pour moi totalement inégalés pour l’instant. Et si je te dis pourquoi, ça va prendre dix pages ! ;-)

Net Zone : Quel sont les projets multimédia sur lesquels tu as travaillé et qui t’ont le plus intéressé ?

Pratiquement tous les projets mulfimédias que j’ai réalisés, étaient passionnants par leur sujet. Le mur d’écran de la Cité des Sciences sur l’emballage m’a permis de visiter de gigantesques usines comme les verreries de Perrier qui sont de véritables décors de SF en grandeur réelle. Le spectacle multimédia de l’ONERA m’a fait découvrir des recherches en aérodynamisme passionnantes, et surtout la borne interactive sur les robots pour le CNAM et mes deux documentaires sur le même sujet pour la Cinquième m’ont énormément appris sur l’histoire des robots et l’état actuel de la science, en matière d’intelligence artificielle et de nanorobotique.

Net Zone: La culture dite “ cyber ” est-elle une réalité pour toi, ou juste un phénomène de mode passager ?

La culture cyber comme tu l’appelles, est très au-delà d’un phénomène de mode, du fait de sa pérennité. C’est un mouvement artistique déjà ancien, qui remonte en fait aux premiers textes de Norbert Wiener en 47 sur son utopie cybernétique. Nam June Paik, en lâchant son robot qui faisait des crottes dans les rues de New York en 69 et bien que se réclamant de Fluxus, est dans le courant cyber. Le mouvement dit cyberpunk a été baptisé et accaparé en 1983 par les Américains, mais c’était un tropisme artistique très répandu en Europe à la même époque et qui perdure toujours. Je me rappelle de performances au Musée d’Art Moderne en 1982, ou dans des usines abandonnées. Elles contenaient déjà tous les ferments de la techno, des raves, du body art, etc, chez les artistes français. Avec des groupes comme Les Maîtres du Monde ou Wonder Product, la conservatiice du Musée d’Art Moderne, Dany Bloch, s’était rendu compte de l’importance de ce qui se passait. Malheureusement, elle est morte trop tôt et, encore une fois, la France a loupé le coche... On vient de rater celui de la techno, je me demande lequel on est encore en train de rater en ce moment... la SF peut-être...
Cyberdunk pas mort!

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