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Article consacré à la robotique

Couv SLASH

SLASH
ITW par Will Waechter pour Slash Juillet 1998
-Du 30 juin au 8 juillet 1998, le laboratoire d'informatique de Paris VI et le laboratoire de robotique de Paris (Université Pierre-et-MarleCurie/CNRS) organisent, à la Cité des sciences de la Villette, une "Coupe du monde des robots footballeurs"; réunissant plus d'une centaine d'équipes de robots.

- Chaque match dure deux fois 10 minutes et met aux prises deux équipes regroupant entre trois et cinq robots chacune. Cinq catégories sont représentées (des robots de 3,5 cm aux robots quadrupèdes). les trois premières catégories sont pilotées par un ordinateur central, les deux autres, dotées de caméras individuelles, analysent elles-mêmes les mouvements à adopter. Ouverte au public, cette compétition constituera une “Vitrine des recherches de pointe menées actuellement en matière d'intelligence artificielle”, et permettra aux scientifiques de “rechercher par l'expérimentaion réelle, les conditions de l'émergence d'une intelligence collective. ”

ENTRETIEN AVEC YANN MINH

Cette interview fait suite à la diffusion d'une émission consacrée aux Robots (voir encadré page suivante), diffusée sur “La Cinquième” le Mardi 16 juin à 14hOO, dont la partie “reportage” est réalisée par Yann Minh

- Yann MINH tu es illustrateur, réalisateur, producteur, j'en passe et des meilleures, tu as également écrit un livre Thanatos, Les Récifs chez Florent Massot dont tu prépares une suite, ce qui nous donne l'occasion de refaire une interview de toi prochainement, Yann, donc, mis à part le fait que tu pourrais à toi tout seul remplir un numéro de Slash et fait de toi un véritable artiste multimédias, qui es-tu ?

Je suis un passionné de science-fiction, d'érotisme et de science, depuis... Tout petit. Je suis plutôt graphiste de formation -j'ai fait plusieurs écoles d'art à Paris. Les Arts Déco ayant investi dans le secteur de la vidéo en 79, je me suis retrouvé un peu par hasard dans le domaine de la vidéo. A ce moment là, j'ai pété les plombs pour la télévision.
Je définis mon altitude comme une réponse aux media.
Je m'explique: Dans ton enfance, tu es nourris, formé par les parents, tu es amené à répondre à tes parents assez tôt; par contre, tu es également formé, dans ton identité, par l'ensemble des media, face auxquels tu ne peux pas répondre immédiatement.
La première réponse aux média est la consommation, tu achètes les produits qui correspondent à l'image que tu veux avoir.
La seconde réponse aux média est la création. Tu peux faire un groupe de rock et répéter dans la cave, ou, pour moi, plutôt graphiste, j'étais plutôt attiré par les pochettes de livres ou les BD de SF voire des pochettes de disques. Lorsque j'ai découvert que j'avais accès à la vidéo en 79 - c'est-à-dire avant l'apparition du VHS, la vidéo était alors un outil inaccessible - et les dix ans qui suivirent; je n'ai pratiquement pas décroché de la réalisation télévisuelle.
Je n'ai pas arrêté de faire des images, dans tous les sens, dans tous les coins, et je me suis retrouvé dans le milieu de la vidéocréation.

J'ai exposé à Beaubourg une installation dArt vidéo qui m'a permis d'exposer un peu partout dans le monde et faire partie de la plupart des festivals dArt Vidéo.
J'ai très vite eu des commandes pour la télévision.
C'est ce qui m'a amené à une carrière de réalisateur de télé. Je travaille actuellement pour La Cinquième, aux “Bandes Annonces”, et en même temps je réalise chaque année en moyenne un documentaire assez important consacré à un domaine scientifique, et lié en général aux nouvelles technologies.
Ma passion étant la science-fiction je connais relativement bien les nouvelles technologies, donc j'ai réalisé un documentaire sur l'histoire des robots et sur les autoroutes de l'information.
Le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui est ce documentaire sur l'histoire de la robotique, que j'ai réalisé il y a déjà deux ans.

- Tu as réalisé plusieurs émissions, dont une soirée Théma sur la SF (Arte). Laquelle était- ce ?

J'ai réalisé la première soirée Thema sur la science-fiction, en 1992 (NDR: bien meilleure que la seconde, diffusée en 97 c'était la soirée ou on avait diffusé “Brazil” sur Arte, c'était aussi la première fois où l'on diffusait “Ie Bunker de la Dernière Rafale” (de Caro el Jeunet) à la TV.
On a réalisé aussi dans la foulée un documentaire avec des interviews de Moebius, Jodorowski, des scientifiques, sur le débat science et science- fiction. J'ai même fait un petit docu de 26 minutes où j'ai interviewé Terry Gilliam ...

- Heu ... La prochaine fois que tu le croises, tu penses à nous OK ?

(rires). D'accord!

- Le 16 juin sur la 5ème, un plateau'débat consacré aux robots, titré “Robots: Sous le règne d'Hephaîstos”, a inséré un reportage que tu as fait sur les robots. Pour quoi ce titre particulièrement ? (qui est Héphaïstos / ne crains-tu pas de dérouter les spectateurs avec un pareil titre)

Héphaïstos est le nom grec de Vulcain. Vulcain est le dieu des forges, du métal, donc c'est pour l'époque, non seulement le Dieu de la technologie, mais aussi celui de la haute technologie.
Pour l'époque, le travail du fer est l'équivalent pour nous des ordinateurs, des réseaux... Notre civilisation est sous le règne du Dieu de la technologie, d' Hephaïstos.

L'autre raison est aussi qu' Hephaïstos, donc Vulcain, fait partie des premiers créateurs de robots Il avait sculpté deux statues en or defemmes qui l'aidaient dans sa forge.

Ce documentaire a déjà été diffusé ?

C'est sa troisième diffusion, mais ses premières diffusions ont été relativement discrètes. Ce documentaire a fait l'ouverture des dix ans de la Cité des Sciences et de l'industrie, puis il a été programmé par La Cinquième en émissions de 13 minutes chacune (dans “Allô la Terre”, le matin).

(Cette présente diffusion est un événement spécial car ce n'est pas une diffusion normale, mais mon documentaire a été inséré dans un plateau débat, en particulier grâce à un entretien avec Dominique Duhaut, chercheur au CNRS. Le documentaire a bénéficié de deux montages très différents. Sur le reportage de 57 minutes (diffusé le l6 juin), j'ai beaucoup plus travaillé sur les effets spéciaux la mise en images, l'habillage, et la cohérence narrative.
En un peu moins d'une heure, tu parcours l'antiquité, toutes les périodes de l'histoire, les robots dans notre monde contemporain, les robots dans le futur, et bien entendu, les robots en science-fiction. En outre, il y a 24 intervenants. C'est de l'hyper concentré, dis-moi ? Comment as-tu réalisé cette prouesse ?

C'est une émission grand public: je ne vais pas à fond dans un sujet, maisj'essaie d'avoir une vision globale.

Il y a des “trucs”. Pour l'histoire de la robotique, c'est évidemment très succinct. Il y a une voix off qui passe tous les grands moments de l'histoire de la robotique, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours. Ce sont essentiellement des points de repères qui tentent à démontrer que le robot n'est pas un phénomène récent.

Les interviews sont assez denses - il faut bien s'accrocher sur certaines interviews - avec des sociologues, des scientifiques, etc., qui vont illustrer une des thémaliques importantes de la recherche en robotique contemporaine. L'intervention la plus pointue va être une explication du fonctionnement des neurones artificielles, mais j'illustre les discours des intervenants, soit par des extraits de films, ou des animations graphiques qui viennent ponctuer les commentaires.

Le début principal de cette émission n'est pas d'expliquer ce qu'est un robot mais de faire ressentir au spectateur le débat social et humain qu'il y a derrière la robotique.

A l'issue de l'émission, les néophytes, pas trop branchés robots ont une vision assez concrète de ce que représentent les robots en tant que machine et de leur importance sociale. Les roboticiens peuvent être un petit peu frustrés, le documentaire ne rentre pas dans les détails, mais par contre ils sont assez content: le laboratoire de robotique de Paris a copié l'émission et la diffuse régulièrement. Cette émission assez généraliste est une bonne entrée en matière pour des étudiants.

Il y a quelque chose d'important pour moi dans cette émission. Au lieu de parler uniquement de l'aspect scientifique des robots, j'ai également introduit l'aspect artistique. Les arlistes jouent un rôle important dans notre société, ils sont souvent négligés, alors qu'ils agissent directement sur des mythes fondateurs. J'ai interviewé des artistes qui fabriquent des sculptures de robots. J'ai alors pu mettre en opposition un discours de scienifique et un discours d'artiste. Parmi les artistes connus, citons Druillet, et aussi Fabian Sanchez.

Tu as un extrait de film de Mad Max.. Mad Max ? ? ? (rires) C'est assez tiré par les cheveux, pour illustrer une émission sur les robots. (c'est pour illustrer en fin d'émission, une réflexion comme quoi l'utilisation d'une technologie transforme son utilisateur.

On a tendance a dire que ce n'et pas la machine en soi qui est mauvaise, mais ce que l'homme a tendance à en faire. L'analogie (et c'est pour ça que je cite Mad Max) - est l'automobile. L'automobile - qui est une extension des jambes - amplifie la fonction mentale associée à l'action de courir. L'homme court lorsqu'il est en attaque, en compétition, au combat. Au volant d'une voiture qui amplifie la fonction de courir les fonctions de compétition et d'agressivité peuvent être accentuées inconsciemment. L'utilisation d'une technologie modifie le comportement de l'utilisateur parfois de façon assez monstrueuse.

Second exemple avec la photographie : la photo est fondamentalement une extension de la mémoire. Résultat : certaines personnes ne vivent plus leurs vacances qu'à travers un appareil photo. La technologie peut donc susciter des phénomènes pervers.

-Tu vas aussi parler des automates dans ton émission, et tu passes des extraits de Blade Runner et Alien. Ne crains-tu pas la confusion pour le spectateur entre les automates, les robots et les androïdes ?

Bonne question ! (rires). Effectivement, j'ai étendu la notion de robot à celle d'être artificiels. Il m'a paru plus important de parler de la notion d'être artificiel qui va amener à la fabrication des robots que me limiter aux robots. Un golem n'est pas un robot, les statues Egyptiennes ne sont pas des robots, Frankenstein n'est pas un robot, mais c'est le mythe fondateur initial, celui de recréer la vie, recréer un être à l'image de l'homme.

Tu vas aborder les recherches en Intelligences Artilicielles?

Je ne développe pas le thème, mais je parle d'une des voies des IA. qui est plus rigolote, celle de l'intelligence collective à travers les réseaux de neurones et la multitude de petits robots crétins qui vont faire des opérations intelligentes.

- Un invité sur le plateau, Dominique Duhaut, chercheur au CNRS, aborde le sujet de la “Coupe du Monde des Robots Footballeurs” ? Qu'est-ce que c'est ?

Il faut connaître le principe de l'intelligence collective. C'est sans doute l'une des plus grandes révolutions en robotique qui s'est passée ces dernières années.

Dans les années 50 des éthologues - chercheurs qui travaillent sur les animaux dans leur milieu naturel, principalement des insectes - se posent des questions sur lefonctionement des ruches, des fourmis, etc.. On pense toujours que les fourmis et les abeilles ont un mode de communication transcendant qui leur permettent de bâtir leurs structures. Enfait, pris individuellement, les insectes vivant en communauté sont relativement crétins. Ils ne réagissent qu'à des stimuli simples. Lorsque l'on voit une fourmilière ou une ruche fonctionner on a une intelligence collective: Chaque individu, pris individuellement, est crétin, mais l'ensemble de la structure est intelligente.

Les roboticiens ont pendant un temps,fantasmé sur l'être humain, et ont rêvé de créer une super-entité permettant de reproduire les capacités humaines. Cette idée n'est pas abandonnée, mais c'est pour l'instant une galère totale. La puissance des ordinateurs. - actuels est loin, très très loin d'égaler les capacités de traitement de notre cerveau.

Par contre, dans les années 60 et 70, au M. I. T, un des ethologues a demandé à des roboticiens de lui fabriquer des micro-robots, de tout petits robots crétins, pour essayer de simuler le fonctionnement des insectes. On s'est aperçu que. ô miracle, ça marchait: en fabriquant une multitude de petits robots crétins, ils se mettaient collectivement à résoudre des tâches complexes qu'une grosse intelligence artificielle n'aurait pas été capable de résoudre. On a vu aussi apparaître des phénomènes d'auto organisation comparables à ceux des animaux Du coup la notion d'intelligence collective est devenue un grand enjeu.

Un concours a été lancé il y a deux ans pour les laboratoires scientifiques, dont le but est d'arriver à fabriquer une équipe de football. C'est intéressant.. Par rapport au football! (rires) Si on arrive à faire des unités un peu crétines capables déjouer au foot, on a résolu le problème de l'intelligence collective...

Cette sorte de coupe du monde des robots footballeurs - qui a lieu en France - est très importante, car si des laboratoires arrivent à des résultats, même un peu sommaires, ça prouve que le principe de l'intelligence
collective est viable, en tant qu'application pratique pour développer une industrie de la robotique. Dans l'avenir, au lieu de croiser des grands robots humanoides très intelligents, on sera peut-être amenés à marcher sur des centaines de petits robots crétins.

Propos recueillis Par Will Waechter, le 3 juin 1998

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