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THANATOS, Les Récifs

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ITW parCarnie pour DMagazine N°2 Février 2000
YANN MINH

Breton, il passe sa jeunesse à Lorient, ville très fortement marquée par la seconde guerre mondiale et le renouveau de l’imaginaire celte (les légendes...). Yann Minh s’avère particulièrement doué en dessin. “Ma première réponse existentielle par rapport aux mass media est de m’emparer très jeune des outils d’expression graphique.”
A la fin des années 70, il s’expatrie à Paris où il apprend les techniques du moulage et des matériaux de synthèse. Puis il rentre à l’école des Arts déco où il se spécialise en vidéo. L’élément le plus marquant, après ses études, est sa première installation vidéo de Noonaute cyberpunk à Beaubourg, en 1983. Catapulté dans l’art vidéo international, il expose un peu partout dans le monde et, parallèlement à sa carrière artistique, il travaille pour l’industrie et la télévision. En 1998, Yann Minh redéfinit la notion de cyberpunk et d’artiste à travers le néologisme de “ noonaute ”, “ explorateur de l’esprit ”, inspiré à la fois du concept de noosphère de Teilhard de Chardin (Le Phénomène humain) et du concept de cybernétique de Norbert Wiener (Cybernernétics) deux livres parus en 1948.

DMagazine :Ton originalité dans la culture SF (science-fiction) à laquelle tu appartiens est d’y intégrer des éléments sadomasochistes. Comment est-ce accepté par le milieu de la SF ?

Yann Minh :A l’origine, je viens des arts plastiques, en particulier de l’art vidéo. Ce qui caractérise ma démarche artistique, c’est une esthétique que je dirai techno-symbolique, dans la lignée romantique des peintres symbolistes ou des préraphaélites, où l’“ esthétisme ” joue un rôle prépondérant. Ce qui me met en porte-à-faux par rapport au milieu des arts graphiques qui étaient dans une épuration des formes héritées du conceptuel, mais aussi par rapport au milieu sadomasochiste français qui était plus cru dans son approche de l’image, presque pornographique. Ainsi, grâce à l’écriture de mon roman (Thanatos), édité en 1997, j’ai intégré la sphère de la SF littéraire francophone. Alors que j’étais en marge des autres milieux artistiques dont j’étais issu, j’ai découvert qu’il y avait une adéquation et une pertinence de mes créations, qu’il y avait des amateurs, qu’il y avait une résonance, une harmonie, un public et beaucoup de personnes qui appréciaient ce que je faisais. En général, à quelques exceptions près, l’univers de la SF littéraire est très asexué.

J’amène une SF sexuée, intégrant l’érotisme dans l’univers technologique et futuriste, de manière affirmée et volontariste. Mon roman a été bien accueilli à sa sortie, à part quelques rejets et polémiques inévitables.

l’érotisme et le sadomasochisme font partie de l’ensemble des éléments qui rendent un univers crédible

L’érotisme, le sadomasochisme, dans mon travail, s’inscrit dans une narration. Chaque image a une histoire. Ce que veulent les gens de la SF, avant tout c’est une histoire cohérente, des mondes imaginaires crédibles, ils veulent s’immerger dans des univers imaginaires différents du réel qui soient crédibles avant tout. L’érotisme et le sadomasochisme font partie de l’ensemble des éléments qui rendent un univers crédible, la sexualité me paraît un élément primordial pour crédibiliser le réalisme d’un univers imaginaire puisqu’elle joue un rôle essentiel dans notre vie réelle, même si elle est trop souvent occultée. Ça, c’est la version intello, mais en d’autres termes, la sexualité m’habite tellement que je ne peux pas faire autrement que de l’intégrer dans mes Ïuvres de la manière la plus pertinente possible.

DMagazine : Dans ta vie privée, quelle part accordes-tu au sadomasochisme ?

Yann Minh: Dans ma sexualité, le sadomasochisme n’est pas systématique. Ce sont pour moi essentiellement des jeux que j’investis d’une grande part métaphorique, en particulier, dans ma projection vers l’autre (soumise) en qui je voudrais voir, paradoxalement l’incarnation de la part féminine de mon identité, mon anima, sous la forme d’une femme guerrière. Je suis à la fois la femme guerrière dominatrice et la soumise. Un des archétypes les plus courants de l’adolescent amateur de SF est la femme guerrière. Celle-là représente la femme que nous voudrions être avec ses attributs et son pouvoir de séduction typiquement féminin.

Mais pour autant, en tant que mâles, nous ne voulons pas perdre les attributs caractéristiques de notre masculinité, à savoir la puissance, la technicité et l’invulnérabilité, attributs qui sont présents sous une forme métaphorique, chez la guerrière (la dominatrice),à travers le gros fusil (phallique), l’attitude dominatrice castratrice, la maîtrise des technologies (cf. SigourneyWeaver dans la série des Aliens ou dans Ghost in the Shell, ou encore dans les oeuvres de l’illustrateur de SF francophone Hubert de Lartigues).

“Il y avait une réelle mise en danger de ma part à transgresser mes tabous et mes réticences, à quitter la sphère imaginaire pour vivre certains, de mes fantasmes dans le réel.”


DMagazine : je crois savoir que tu as fréquenté la sphère sadomasochiste parisienne?

Yann Minh : L’artiste noonaute est quelqu’un qui voyage dans les sphères infiormationnelles, mais je pense que son rôle est d’aller explorer des zones dangereuses ou taboues, d’aller plus loin, et de ce dépassement des limites, à la fois de l’imaginaire et du réel, l’artiste en ramènera quelque chose de spècifique qui nourrira son Ïuvre. Dans les années 1986 à 1992, j’ai fréquenté, avec beaucoup de plaisir, le milieu du sadomasochisme parisien. Il y avait une réelle mise en danger de ma part à transgresser mes tabous et mes réticences, à quitter la sphère imaginaire pour vivre certains de mes fantasmes dans le réel. A travers ces rencontres, j’ai découvert des énergies spécifiques qu’aucune fantasmatique ne m’aurait permis d’incarner. Il y a eu des moments grands comme des moments sordides, mais j’en retiens le souvenir de certaines illuminations sensuelles incomparables. J’en ai d’ailleurs fait un petit film de vidéo création, réalisé lors d’une séance dans le donjon d’une dominatrice célèbre (Cx/Fin). Dans la fantasmatique sadomasochiste la relation est essentielle pour moi. Avec la caméra ou l’appareil photo, j’exorcise la souffrance de désirer autre en me l’accaparant par l’acte métaphorique de le filmer ou de le photographier. C’est pour ça que je fais des images, le moteur de ma création artistique est clairement le désir de l’autre à travers la sexualité. L’“ autre ”, l’“ alien ”.

Dmagazine. Dans ton roman Thanatos, tu as une approche futuriste effrayante du sadomasochisme qui est liée au meurtre.

Yann Minh : Thanatos met en scène les interrogations que se pose l’amateur d’érotisme fètichiste que je suis en imaginaire lorsqu’il est confronté à la réalité sordide du passage à l’acte sous la forme extrême du meurtre sadique. Cela m’a interpellé et m’a obligé à me confronter à la part morbide de la fantasmatique SM. De cette confrontation douloureuse, je me suis forgé une réflexion : pour moi le SM est un jeu sexuel où je matérialise, sous forme ritualisée, ma propre fantasmatique, tout en conservant une éthique personnelle essentielle. La transgression des limites doit se faire dans l’imaginaire, et c’est notre plus grande liberté car tous les champs de l’imaginaire nous sont accessibles. Par contre, la transgression des limites dans la réalité doit impérativement être assujettie à cette notion essentielle du respect de l’autre.

Propos recueillis par Carnie.

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