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THANATOS,Les Récifs. (Premier Extrait)


“ Qui sommes-nous encore, au fond de ce décor de souffrance?
Qui sommes-nous devant nos silences et l’indifférence qui oublie tout?
Que verront les yeux du destin, quand nos coeurs contraints s’en iront?
Est-ce que les cris d’amour, les appels au secours gagneront de meilleurs jours?”

Cyane. 1962-2162

Dyl conduit et je regarde la nuit d’asphalte s’engouffrer sous les roues...
Les raies de lumière blafardes glissent sur sa peau blanche. Les faisceaux découpent sa chair au rythme des bandes jaunes aspirées par le moteur. Le vent repousse par intermittence une mèche rebelle sur ses grands yeux. Elle semble rêver, le regard fixé sur un horizon au delà des étoiles.
Dyl conduit avec sa précision habituelle, les yeux rivés sur le puits d’ombre entre les phares.
Le vent effleure sa peau, s’immisce entre ses cuisses entrouvertes, attirant la caresse d’une main entre ses jambes.
La voiture s'enfonce au ralenti dans le bleu de la nuit.

TRISTAN

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J’ai froid.
Un point rouge clignote dans le lointain.
D’énormes rochers dérivent doucement entre les parois du défilé, dans la faible luminescence bleue d’une brume aquatique.
Mon regard est fixé sur cette fragile petite lumière rouge.
Récif
s. Le mot résonne dans ma tête, il n’y a plus que ce mot, qui revient éternellement et qui occupe toute ma pensée. Récifs.

Je ne sais plus qui je suis, ni pourquoi je suis accroché à cette falaise, transi de froid, à moitié nu, guettant cette ridicule petite lumière intermittente. Mes bras et mes jambes sont ankylosés. Je n’ai pas la force de chercher une position moins douloureuse. Mes poignets sont liés à de lourds anneaux rouillés de part et d’autre de ma tête. Mes mains sont comme deux araignées bleues au bout de mes bras, inertes, je ne les sens plus, elles ne réagissent plus. Mes pieds sont attachés par des cordelettes fibreuses à des anneaux métalliques encastrés dans la pierre.

Ma vue se brouille. Des larmes coulent le long de mes joues soulageant ma souffrance. Je ne veux plus bouger. Je veux rester ici et attendre que la mort vienne doucement pendant mon sommeil.
Une érection nerveuse gonfle ma verge.

Trouant la brume, des éclats de lumière orangés accrochent les aspérités luisantes. Un souffle d’air tiède venu des profondeurs caresse ma peau. Des vagues régulières de chaleur agitent l’air autour de moi. Un feu brûle au fond de l’abîme entre mes jambes.
Une meute de dragons descend en spirale depuis les cimes, pour disparaître dans l’ombre bleue du défilé.

Mon désir à disparu. Une large griffure le long de ma hanche m’élance douloureusement. Je tremble de froid. Mon sexe semble se rétracter pour entrer dans mon corps.

La lumière rouge a bougé.
Un sifflement strident suivit du bruit mat de plusieurs impacts.
Quatre longues tiges métalliques sont venues se ficher dans mes bras et mes cuisses, me clouant contre le schiste froid. L’explosion de douleur me coupe le souffle. Un cri rauque commence à naître au fond de ma gorge. Je hurle. Ma voix est étouffée, éteinte par cette brume épaisse et humide qui ruisselle sur les pierres, sur ma peau, englue mes cheveux dans le sang qui suinte de mes plaies. Une nouvelle lame de douleur me tétanise. Je hurle. Les larmes voilent mon regard.

Une bourrasque écarte les volutes de brume, je distingue mieux cette petite lumière rouge clignotante. Elle n’est pas aussi loin que je croyais. Elle est suspendue dans l’air seulement à une dizaine de mètres. C’est une caméra sphérique qui me fixe de ses petites lentilles noires.
La boule d’acier polie et luisante s’approche en un lent mouvement tournant. Un instant elle semble doubler de volume lorsque les bras mécaniques munis de scalpels se déplient de sa surface.

Je perçois cela dans une demi-conscience, l’esprit entièrement accaparé par les fulgurances de la souffrance. Mon coeur me fait mal et je n’arrive pas à retrouver mon souffle.

L’hémisphère supérieur de la caméra portant les objectifs, s’est séparé, et flotte un petit peu en arrière.
Le reste du robot a maintenant l’allure d’un crabe scorpion avec ses deux pinces-scalpels écartées autour d’un long dard métallique. L’insecte d’acier descend lentement vers mes hanches. Une brûlure froide lorsque les lames s’enfoncent, puis l’explosion de douleur me submerge tandis que les lames incisent et découpent, profanant mon corps dans une barbarie sexuelle qui m’aurait peut-être contentée si je n’en avais pas été la victime.

La dernière sensation est le pal du dard me pénétrant, ultime supplice dans un chaos de souffrance.
Je m’enfonce dans une spirale de néant.
Je flotte dans un bien-être absolu, une sorte d’orgasme immaculé ralenti, qui s’étire lentement, interminablement, dans une blancheur éblouissante. Je me demande si c’est la mort.
©1997Editions Florent-Massot
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